Appel de 2019
Nous, personnes en situation de précarité, collectifs d’organisations de soutien et citoyens solidaires, marcherons unis pour le respect des droits fondamentaux de tous. Il s’agit d’un projet original : affirmer notre solidarité au-delà des catégories qu’on veut nous imposer et montrer qu’un autre monde, fait de fraternités, est possible.
L’association « Un toit c’est un droit », a disposé pendant un an de 3 maisons pour accueillir les migrants, sur un site jouxtant le quartier populaire de Maurepas à Rennes. De là sont nés des contacts et des activités communes avec d’autres personnes en situation de grande précarité : cela nous a tous fait évoluer dans nos réflexions. C’est ainsi qu’est né, au sein de l’association « Un toit c’est un droit » un projet (d-)étonnant désormais rejoint par de multiples personnes.
Il s’agit d’organiser dans la semaine précédant le festival Étonnants Voyageurs, du samedi 1er juin au samedi 8 juin, une marche de Rennes à Saint-Malo le long du canal d’Ille-et-Rance (à pied, en vélo, en canoé, etc) avec, à chaque halte le soir, une animation qui pourrait être un concert, du théâtre, des lectures de textes, des débats, des projections de films…
Cette marche s’inscrit en résonance avec une colère que l’on entend de plus en plus fort ces dernières semaines, un sentiment d’injustice sociale profond, qui touche de manière aveugle toutes les catégories de personnes précaires : il s’agit dès lors de refuser d’être cloisonnés entre migrants et Français et de marcher ensemble pour la dignité de tous.
Notre objectif : montrer une communauté d’intérêts entre toutes les personnes qui sont traitées de manière indigne, qu’elles soient françaises ou étrangères. Nous maintiendrions, par une arrivée en bateau, la symbolique forte d’une urgence de sauvetage des migrants en Méditerranée.
Cette marche se veut aussi être un projet artistique tant dans sa préparation que dans sa réalisation pour redonner la parole à ceux qu’on n’écoute jamais (écriture, photo…). Il ne s’agit pas simplement d’un cortège de manifestation, il s’agit d’opérer ensemble un pas de côté, pour apprendre à se comprendre et à échanger, que l’on soit français ou non, précaire ou non, artiste ou non.
Bien sûr, cette marche s’inscrit dans une perspective d’adhésion large : nous invitons donc toute organisation, toute collectivité et toute personne à nous rejoindre dans la préparation de ce projet. Nous aurons besoin de relais tout au long du trajet, d’un point de vue aussi bien logistique que fédérateur.
Nous espérons vous voir à nos côtés pour cet « Étonnant Voyage ».
Crédit photo : François Lepage
Retour sur la marche
Difficile d’écrire après cette semaine foisonnante…
Dire que ce fut une semaine de marche totalement réussie, avec une affluence au-delà de tous les espoirs et un bel accueil par le festival Étonnant Voyageurs est finalement… tellement en-dessous de la réalité vécue ! Malgré la fatigue, malgré les ampoules aux pieds, malgré la tempête inondant les tentes, nous étions comme désemparé.e.s en retrouvant dimanche soir nos petites habitudes qui nous paraissaient, pour le coup, précisément… si petites !
Nous avions traversé tellement autre chose…
Revendiquer est important, primordial pour faire respecter nos droits : les rassemblements, les manifestations, les occupations y contribuent. Mais dans l’Étonnant Voyage il y avait autre chose. Comme un avant-goût du monde dont nous rêvons. Pas un monde uniforme où il faudrait que chacun ait les mêmes opinions sur tout et les mêmes modes de vie pour le faire tenir debout. Non, précisément le contraire, un monde de différences où chacun joue sa petite partition pour le bonheur de tous. Il y avait dans l’Étonnant Voyage comme de la mise en application des utopies. Jeunes, âgé.es, français.es, exilé.es, valides, handicapé.es, actifs.ives, retraité.es, chômeurs.euses, avec une vie rectiligne ou une vie chaotique, d’une religion, de l’autre ou d’aucune, vieux.vieilles militant.es ou néophytes, précaires ou non, nous avons pleinement et fraternellement vécu ensemble. Pas de chef mais quelque chose de fluide où chacun saisit ce qu’il doit faire, y compris et surtout face à l’imprévu, où les actes des uns complètent et enrichissent ceux des autres, où l’on se pose sur un coin d’herbe mouillée pour prendre le temps de découvrir son voisin. Pas un monde de bisounours d’où tout désaccord aurait disparu mais un petit monde où on apprend à les gérer, un espace qui nous fait finalement devenir… plus grands que nous !
Crédit photo : Julien Guillery
Et, d’une étape à l’autre, durant 80 km, toujours cette même chaleur dans l’accueil à nous porter : Monsieur le Maire avec son écharpe, la grand-mère avec ses confitures, machin qui va chercher des tables, l’autre qui s’occupe des chaises, un troisième du barnum, la boulangère qui nous offre ses beaux pains dorés, le paysan son lait crémeux, les enfants de l’école de musique qui nous jouent Amstrong du haut d’un pont, les ami.e.s de la cantine des Schmruts toujours là avec leurs magnifiques menus juste au moment où on n’en peut plus et, et, et….
Une partition impossible à jouer sans l’investissement de plus de 60 organisations et sans le souci constant du partage, de l’égalité et de la solidarité jusque dans les gestes les plus ordinaires de la vie. Une musique avec la fraternité à la clé.
Et la musique, la poésie, précisément qui guidaient nos pas. Elles n’étaient pas un simple décorum pour faire joli et attirer le badaud : elles étaient l’expression de notre trop-plein de rêves, de rage, d’amour, de larmes et de rires. Elles étaient la vie parce qu’elles étaient dans la vie.
Des petites graines ont été semées, on ne sait pas jusqu’où elles vont s’envoler mais le grand voyage est déjà en route. Personne n’est ressorti.e indemne d’une telle expérience : elle est notre tremplin pour refuser l’inhumanité et faire grandir la solidarité, elle est notre réservoir pour aller au-delà de nous-mêmes.
Comme l’a dit un exilé, il n’y a pas d’issue sans un rapprochement : et si nous cessions de parler de « précaires » pour devenir tous des « près-cœurs » ?
Allez, les amis, on ne va pas lâcher l’affaire, on va se retrouver, on va se battre dans un grand éclat de rire à faire pâlir tous les exploiteurs, les indifférents, les pisse-froids, les aigris, les racistes de tous poils et les malveillants ordinaires !
Pour finir : un grand grand merci à tous les marcheurs et marcheuses, aux poètes, aux musiciens, musiciennes, aux professionnel.elles bénévoles qui nous ont offert leurs compétences, à l’équipage de la péniche, aux mairies qui nous ont ouvert leurs portes, au festival Étonnants Voyageurs et à tous ceux qui se sont mobilisés sur la route de l’espoir !
Le comité d’organisation de l’Étonnant Voyage